Mark S. Riddle, Bradley A. Connor
Depuis 30 ans, des essais contrôlés randomisés ont démontré de manière cohérente et claire que les antibiotiques raccourcissent la durée de la maladie et atténuent le handicap associé à la diarrhée du voyageur (DT). Le traitement par un antibiotique efficace raccourcit la durée moyenne d’un épisode de DT d’environ un jour, et si le voyageur associe un antibiotique à un agent antimotilité tel que le lopéramide, la durée de la maladie est encore plus courte. Les données émergentes sur les conséquences sanitaires potentielles à long terme de la DT, telles que le syndrome du côlon irritable, la dyspepsie et la constipation chronique, pourraient suggérer un avantage d’une antibiothérapie précoce étant donné l’association entre une maladie plus grave et plus longue et le risque de conséquences post-infectieuses.
Bien que ces résultats cliniques soient impressionnants, les antibiotiques, comme tout médicament, ne sont pas sans conséquences. Chacun des antibiotiques couramment utilisés pour traiter la DT a des effets secondaires, mais ceux-ci sont généralement légers et autolimités, et les avantages semblent l’emporter sur les risques. Plus récemment, cependant, on s’est inquiété du fait que les antibiotiques utilisés par les voyageurs pouvaient entraîner des modifications importantes du microbiome de l’hôte ainsi que l’acquisition de bactéries multirésistantes. De multiples études d’observation ont révélé que les personnes qui voyagent (en particulier dans les régions d’Asie), développent une DT et prennent des antibiotiques présentent un risque croissant de colonisation par des entérobactéries productrices de β-lactamase à spectre étendu (BLSE-PE). Les effets directs de la colonisation sur le voyageur moyen semblent limités ; le portage est le plus souvent transitoire, mais il persiste chez un petit pourcentage des personnes colonisées. Cependant, le voyage international d’un membre du ménage est associé à la colonisation par des BLSE-PE parmi les contacts proches, ce qui suggère des conséquences potentielles plus importantes sur la santé publique de l’acquisition de BLSE-PE pendant le voyage.
Le défi auquel nous sommes confrontés en tant que prestataires et voyageurs est de trouver un équilibre entre le risque de colonisation et la propagation mondiale de la résistance et les avantages pour la santé du traitement antibiotique de la DT. Bien que le rôle des voyageurs dans la translocation des maladies infectieuses et de la résistance ne puisse être ignoré, l’écologie des infections à BLSE-PE est complexe et comprend des dynamiques de transmission environnementale, alimentaire, d’immigration et nosocomiale locale. Les infections à BLSE-PE constituent une menace sanitaire émergente, et la résolution de ce problème complexe nécessitera des stratégies multiples.
Comment, alors, préparer un voyageur avec une prescription d’auto-traitement empirique avant un voyage ? Il faut avoir une conversation avec le voyageur sur les risques à plusieurs niveaux (individuel, communautaire, mondial) du voyage, la diarrhée du voyageur, la prévention de la DT par l’hygiène des mains et la sélection minutieuse des aliments et des boissons, et le traitement antibiotique. Il faut insister sur le fait que les antibiotiques doivent être réservés aux cas de diarrhée modérée à sévère, et que l’utilisation d’agents antimotilité seuls peut être suggérée en cas de diarrhée légère. Les voyageurs âgés (en raison des conséquences graves des infections sanguines dans cette population) ou ceux qui ont des infections urinaires récurrentes (car Escherichia coli en est une cause fréquente) peuvent être plus exposés aux conséquences sanitaires d’une colonisation par des BLSE-PE. Ces voyageurs doivent au moins être informés de ce risque et il faut leur conseiller de communiquer à leur médecin traitant leurs antécédents d’exposition au voyage s’ils tombent malades après le voyage. Bien que d’autres études soient nécessaires (et beaucoup sont en cours), une approche rationnelle est conseillée pour réduire l’exposition en utilisant des schémas à dose unique et en choisissant un agent antibiotique qui minimise la perturbation du microbiome et le risque de colonisation. De plus, étant donné que les voyages et la DT non traitée augmentent indépendamment le risque de colonisation par des BLSE-PE, des stratégies chimioprophylactiques non antibiotiques, telles que l’utilisation de subsalicylate de bismuth, peuvent réduire les risques aigus et post-voyage. Le renforcement de la résilience du microbiote de l’hôte pour prévenir l’infection et la colonisation indésirable, comme avec l’utilisation de prébiotiques ou de probiotiques, sont des stratégies potentielles prometteuses, mais doivent être étudiées plus avant.
Enfin, nous devons être conscients du fait que nous attendons du voyageur qu’il soit le diagnosticien, le praticien et le patient lorsqu’il s’agit de gérer la DT. Pour le voyageur le plus avisé, prendre de telles décisions savantes peut être mis à mal par l’apparition anxiogène de cette première crampe abdominale dans des contextes parfois austères et peu commodes. Il est crucial de fournir aux voyageurs potentiels des conseils écrits clairs sur la prévention de la DT et des instructions étape par étape sur la façon et le moment d’utiliser les médicaments contre la DT.
BIBLIOGRAPHIE
- Arcilla MS, van Hattem JM, Haverkate MR, Bootsma MCJ, van Genderen PJJ, Goorhuis A, et al. Import and spread of extended-spectrum β-lactamase-producing Enterobacteriaceae by international travellers (COMBAT study) : a prospective, multicentre cohort study. Lancet Infect Dis. 2017 Jan;17(1):78-85.
- Riddle MS, Connor BA, Beeching NJ, DuPont HL, Hamer DH, Kozarsky P, et al. Lignes directrices pour la prévention et le traitement de la diarrhée des voyageurs : un rapport de groupe d’experts gradué. J Travel Med. 2017 Apr 1;24(Suppl 1):S57-S74.
Les sections Perspectives sont rédigées sous forme de discussions éditoriales visant à ajouter de la profondeur et une perspective clinique aux recommandations officielles contenues dans l’ouvrage. Les points de vue et opinions exprimés dans cette section sont ceux des auteurs et ne représentent pas nécessairement la position officielle des CDC.