Résultats
Nous constatons que la probabilité d’une décision favorable est plus grande au tout début de la journée de travail ou après une pause repas que plus tard dans la séquence des affaires. Ce schéma est évident à la figure 1, qui représente la proportion de décisions favorables par position ordinale pour 95 % des observations de chaque session de décision. Le graphique montre que la probabilité d’une décision en faveur d’un prisonnier connaît un pic au début de chaque session – la probabilité d’une décision favorable diminue régulièrement de ≈0,65 à presque zéro et remonte à ≈0,65 après une pause pour un repas. La figure 2 A et B présente un histogramme de la probabilité d’une décision favorable pour des affaires présentant des caractéristiques juridiques similaires et apparaissant dans l’une des trois positions ordinales au début versus à la fin d’une session de décision ; du point de vue du prisonnier, il y a un avantage clair à apparaître au début de la session (c’est-à-dire, soit au début de la journée, soit immédiatement après la pause).
Proportion de décisions en faveur des prisonniers par position ordinale. Les points encerclés indiquent la première décision de chacune des trois sessions de décision ; les coches sur l’axe x indiquent un cas sur trois ; la ligne en pointillé indique une pause alimentaire. Parce que les durées inégales des sessions ont entraîné un faible nombre de cas pour certaines des positions ordinales ultérieures, le graphique est basé sur les premiers 95% des données de chaque session.
Proportion de décisions favorables pour les criminels de sexe masculin ayant un programme de réhabilitation en fonction de la position ordinale, des mois passés en prison et des incarcérations précédentes. Ces histogrammes reflètent les trois premières versus les trois dernières décisions collationnées sur les trois sessions de décisions. Ils sont présentés à titre d’illustration et sont basés sur un sous-échantillon de données. Les signes plus (+) indiquent des tailles de cellule de <20. (A) Données relatives aux détenus n’ayant jamais été incarcérés. (B) Données pour les détenus ayant déjà été incarcérés une fois. Les astérisques indiquent les résultats d’un test de différence entre les proportions. *P < 0,1, **P < 0,05, ***P < 0,01.
Pour tenir compte du rôle possible des covariables dans les schémas décrits dans les Figs. 1 et 2, nous avons utilisé une régression logistique avec les décisions comme variable dépendante et un effet fixe spécifique au juge pour contrôler les tendances idiosyncratiques de chaque juge (tableau 1). Les prédicteurs clés étaient plusieurs indicateurs différents de la position ordinale d’une affaire : (i) des variables fictives indiquant les trois premières affaires d’une session, incluses pour examiner comment les jugements immédiatement après une pause diffèrent de ceux qui les ont précédés ou suivis ; (ii) des variables fictives indiquant dans laquelle des trois sessions quotidiennes l’affaire était apparue ; et (iii) deux types de compteurs de position ordinale (l’un indiquant la position ordinale dans la session et l’autre indiquant la position ordinale dans la journée, chacun utilisé dans une spécification de régression différente). Les covariables comprennent tous les attributs juridiques de l’affaire disponibles dans le dossier (gravité du crime, nombre de mois d’emprisonnement, incarcérations précédentes et programme de réhabilitation), les données démographiques du détenu (sexe, nationalité) et la proportion de décisions favorables à ce stade de la journée. Ce dernier point avait pour but de contrôler la possibilité que les juges aient un « quota » quotidien de décisions favorables qu’ils s’attendent à rendre et qui, une fois rempli, est suivi de décisions défavorables.
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Résultats de l’analyse utilisant des variables muettes pour les trois premières décisions d’une session
Le signe positif et la signification des variables muettes indiquant les trois premières affaires de chaque session confirment que le schéma de la figure 1 se maintient même en contrôlant les attributs juridiques de l’affaire et la tendance générale des juges à statuer contre le prisonnier à mesure que le nombre d’affaires dont ils sont saisis augmente (c’est-à-dire l’effet principal de la prise de décisions répétées). Les résultats sont presque identiques lorsque nous limitons notre analyse aux seules demandes de libération conditionnelle (tableau S1) et dans les analyses où nous éliminons les deux juges les plus fréquents (tableau S2) et chacun des juges de notre échantillon (tableaux S3-S10). En outre, un graphique similaire à la figure 2 pour chaque juge montre que chaque juge de notre échantillon était plus susceptible de se prononcer en faveur d’un détenu au début d’une session qu’à la fin d’une session (figure S1). Les tests de modèles emboîtés indiquent que l’ajout des variables de position ordinale conduit à un meilleur ajustement du modèle (Tableau S11). Par conséquent, bien que nos données ne nous permettent pas de tester directement si la justice est ce que le juge a mangé au petit-déjeuner, elles suggèrent que les décisions judiciaires peuvent être influencées par le fait que le juge a pris une pause pour manger.
Nous avons effectué une analyse supplémentaire pour tester la robustesse statistique de la tendance linéaire qui apparaît entre les pauses dans la Fig. 1. Quel que soit le compteur de position ordinale que nous avons utilisé, la tendance était significative et négative (tableau S12). Nous avons également effectué une analyse en utilisant les minutes cumulées écoulées au cours d’une session à la place des dummies de position ordinale comme prédicteur, ainsi que nos variables de contrôle. Les minutes cumulées servent d’indicateur de la fatigue mentale des juges. Comme les résultats présentés au tableau 1, cette analyse montre que plus le temps cumulé au cours d’une session augmente, plus la probabilité d’une décision favorable diminue (tableau S13 et figure S2). Cependant, il faut noter que dans une analyse qui incluait à la fois la variable des minutes cumulées et le compteur de position ordinale, seul ce dernier était significatif (tableau S14). Cette analyse laisse entendre que l’épuisement apparent dont font preuve les juges est dû à l’acte de prendre des décisions plutôt qu’au simple temps écoulé (cette interprétation doit être considérée à la lumière de la forte corrélation entre les minutes cumulées et la position ordinale, r = 0,72, P < 0,0001). Deux indicateurs soutiennent notre point de vue selon lequel le rejet des demandes est une décision plus facile – et donc un résultat plus probable – lorsque les juges sont épuisés mentalement : (i) les décisions favorables ont pris significativement plus de temps (M = 7,37 min, ET = 5,11) que les décisions défavorables (M = 5,21, ET = 4,97), t = 6,86, P < 0,01, et (ii) les verdicts écrits des décisions favorables étaient significativement plus longs (M = 89,61 mots, ET = 65,46) que les verdicts écrits des décisions défavorables (M = 47.36 mots, ET = 43,99), t = 12,82, P < 0,01.
Parmi les variables de contrôle juridiquement pertinentes entrées dans les régressions, seuls le nombre antérieur d’incarcérations du détenu et la présence d’un programme de réhabilitation ont exercé de manière constante une influence statistiquement significative sur les décisions des juges. Les prisonniers qui avaient une tendance à la récidive étaient moins susceptibles de recevoir un jugement favorable, tout comme ceux qui n’avaient pas de programme de réhabilitation planifié. La gravité du crime commis par le détenu et le temps passé en prison n’ont pas eu d’effet sur les décisions, pas plus que le sexe et l’origine ethnique. L’absence d’effet significatif de l’origine ethnique du détenu indique que les juges juifs-israéliens de notre échantillon ont traité les détenus de la même manière, quelle que soit leur origine ethnique. Bien que des recherches antérieures laissent entrevoir la présence d’effets de la race des prisonniers et des juges sur les décisions de condamnation, dans certains cas, comme dans le nôtre, ces effets sont faibles ou absents (15-18).
Un aspect clé pour interpréter l’association entre la position ordinale d’un cas et les décisions de libération conditionnelle est de savoir si un facteur non observé détermine l’ordre des cas de manière à produire le modèle de résultats que nous obtenons. Par exemple, si les prisonniers sans programme de réhabilitation ou les récidivistes étaient d’une manière ou d’une autre plus susceptibles de se présenter avant une pause repas, nous trouverions naturellement une plus grande proportion de rejets se produisant également avant la pause repas. Un certain nombre de facteurs procéduraux empêchent cette possibilité.
Premièrement et de manière plus critique, le juge détermine à la fois le moment de la pause au cours des procédures de la journée et ne connaît pas les détails des affaires à venir. Ainsi, le juge ne peut pas décider du moment de la pause sur la base d’informations liées à la nature des affaires à venir. Ainsi, dans l’exemple ci-dessus, un juge ne peut pas décider de prendre une pause parce qu’il sait que les prisonniers après la pause n’auront aucun antécédent d’incarcération. De même, le type d’affaire (par exemple, la gravité du crime) sur laquelle le juge vient de statuer n’a pas d’effet significatif sur la probabilité de prendre un congé (tableau S15). En outre, la grande variabilité des heures de début et des durées des pauses atteste du fait que leur survenue serait presque impossible à prévoir par l’un des personnels pénitentiaires impliqués dans les procédures de libération conditionnelle.
Deuxièmement, la position ordinale des affaires est, à de rares exceptions près, déterminée par l’heure d’arrivée de l’avocat du détenu. Les avocats sont séquestrés dans une salle où ils ne peuvent pas voir les délibérations de la commission et, par conséquent, ne connaissent aucune des décisions du juge, ni le nombre de prisonniers qui ont précédé le cas de leur client, ni quand et si la pause repas a eu lieu (après les délibérations de la commission, les avocats sortent par une autre porte). Ainsi, par conception, ils ne peuvent pas apprendre l’avantage de comparaître après une pause. En effet, une enquête menée auprès d’un échantillon de ces avocats après la période de collecte des données primaires a indiqué qu’ils n’étaient pas conscients de l’effet de la position ordinale sur les décisions (voir SI Materials and Methods, S2 pour plus de détails). Une enquête similaire administrée aux membres des commissions de libération conditionnelle (juges, criminologues et travailleurs sociaux) a révélé les mêmes résultats (voir SI Materials and Methods, S3 pour plus de détails).
En raison des facteurs discutés ci-dessus, nous ne nous attendions pas à des corrélations significatives entre la position ordinale au sein de la journée ou de la session et les variables de contrôle dans nos données (SI Materials and Methods, S4 et tableau S16). Conformément à nos attentes, il ne semble pas y avoir d’ordre délibéré basé sur les caractéristiques des prisonniers (Fig. 3 A-D et SI Materials and Methods, S4) ; en tout cas, il ne semble pas y avoir d’effet de la pause repas sur le type de prisonnier comparaissant devant le juge. Notons que, bien qu’il existe une corrélation légère mais significative entre la récidive et la position ordinale dans la journée, cette corrélation n’est pas significative au sein d’une session de décision, c’est-à-dire entre les pauses. Elle ne peut donc pas expliquer les pics de décisions favorables après les pauses.
Niveau moyen des variables de contrôle par position ordinale. Les points encerclés indiquent la première décision dans chacune des trois sessions ; les coches sur l’axe x indiquent un cas sur trois ; les lignes pointillées indiquent la pause alimentaire. (A) Données relatives à la gravité du délit. (B) Données relatives aux incarcérations antérieures. (C) Données relatives aux mois d’incarcération. (D) Données reflétant la proportion de détenus ayant suivi un programme de réhabilitation. Parce que l’inégalité de la durée des sessions a entraîné un faible nombre de cas pour certaines des positions ordinales ultérieures, les graphiques sont basés sur les premiers 95% des données de chaque session.
Un autre facteur qui peut plausiblement expliquer notre effet est que les juges pourraient avoir une certaine proportion de décisions qu’ils s’attendent à être favorables, et une fois que ce « quota » est rempli, alors les décisions défavorables suivent. Comme nous l’avons expliqué précédemment, nous avons testé cette possibilité de manière empirique en incluant une variable qui calcule la proportion de décisions favorables jusqu’à ce moment de la journée (Tableau 1, spécifications 3 et 4). Quelle que soit l’analyse que nous avons menée, l’estimation du paramètre était positive et significative, ce qui suggère qu’un juge qui a rendu une grande proportion de décisions favorables jusqu’à un certain moment était, en fait, plus susceptible de rendre une décision favorable dans une affaire ultérieure.