Dans cette caricature, les moines et les nonnes jouissent de leur nouvelle liberté après le décret du 16 février 1790En 1789, année du déclenchement de la Révolution française, le catholicisme est la religion officielle de l’État français. L’Église catholique française, connue sous le nom d’Église gallicane, reconnaissait l’autorité du pape en tant que chef de l’Église catholique romaine mais avait négocié certaines libertés qui privilégiaient l’autorité du monarque français, ce qui lui conférait une identité nationale distincte caractérisée par une autonomie considérable. La population française de 28 millions d’habitants est presque entièrement catholique, les minorités protestantes et juives n’ayant pas le droit de faire partie de l’État. Être français signifie en fait être catholique. Pourtant, en 1794, les églises et les ordres religieux de France ont été fermés et le culte religieux supprimé. Comment en est-on arrivé là ? Qu’espéraient les révolutionnaires ? Et pourquoi Napoléon a-t-il entrepris de renverser la situation ?

Le déclin du catholicisme?

Les historiens sont divisés sur la force du catholicisme dans la France de la fin du XVIIIe siècle. Certains suggèrent qu’il était encore florissant après les efforts du concile de Trente (1545-63) pour réformer et revitaliser l’Église, comme en témoignent son clergé bien formé, ses ordres religieux nombreux et variés et ses formes de culte renouvelées. D’autres retracent une période de déclin, avec une diminution faible mais sensible de la pratique religieuse dans les décennies précédant la Révolution. Les études régionales sur les croyances et les pratiques religieuses révèlent des différences significatives entre la France urbaine et la France provinciale, entre les élites et le reste de la population et, à un moindre degré, entre les hommes et les femmes. Ce qui est clair, cependant, c’est que l’Église du XVIIIe siècle s’attirait des critiques croissantes de la part des philosophes, les intellectuels des Lumières qui remettaient systématiquement en question tous les aspects du gouvernement et de la société française.

La quête des Lumières pour promouvoir la raison comme base de la légitimité et du progrès ne trouvait que peu de choses à louer dans l’Église. Alors que les philosophes appréciaient la valeur de la religion pour promouvoir l’ordre moral et social, l’Église elle-même était condamnée pour son pouvoir et son influence. Le scandale qui entoure le mouvement théologique du jansénisme, source de division, exacerbé par le traitement sévère réservé à ses adeptes au début du siècle, fournit une raison d’attaquer l’autorité de l’Église et ses liens étroits avec la monarchie. Le manque de tolérance de la France à l’égard des minorités religieuses en est une autre. Bien que le philosophe Voltaire ait réussi à faire l’éloge des jeunes religieuses qui consacraient leur vie à soigner les malades et les pauvres, le clergé était considéré comme moins utile. L’écrivain Louis-Sébastien Mercier se plaint en 1782 que Paris est « plein de prêtres et de clercs tonsurés qui ne servent ni l’Église ni l’État » et qui ne s’occupent que d’affaires « inutiles et insignifiantes ». La critique vise plus particulièrement les monastères où les moines et les nonnes passent leurs journées à prier, à la grande colère des philosophes qui pensent qu’ils devraient plutôt se reproduire pour le bien de la nation. Les vœux solennels prononcés par ces hommes et ces femmes, qui les lient à vie à l’état religieux, suscitent également des inquiétudes quant à la liberté individuelle. Denis Diderot s’insurge contre la nature perpétuelle de ces vœux, mettant en garde contre les décisions prises trop tôt dans la vie et évoquant, dans son roman La Religieuse, le spectre d’une jeune femme contrainte de devenir nonne contre son gré. Bien que la plupart des philosophes aient promu la réforme plutôt que la destruction, leurs commentaires ont encouragé un anticléricalisme croissant dont le dépit était aiguisé par le ressentiment de la richesse de l’Église.

Les revenus de l’Église en 1789 étaient estimés à un immense – et peut-être exagéré – 150 millions de livres. Elle possédait environ six pour cent des terres dans toute la France, et ses abbayes, églises, monastères et couvents, ainsi que les écoles, hôpitaux et autres institutions qu’elle gérait, constituaient un rappel visible de la domination de l’Église dans la société française. L’Église est également autorisée à percevoir la dîme, d’une valeur nominale d’un dixième de la production agricole, et est exempte d’impôts directs sur ses revenus. Cette prospérité provoque un mécontentement considérable, illustré par les cahiers de doléances, envoyés de tout le royaume pour être discutés lors de la réunion des États généraux en mai 1789. Aux appels à la réforme ou à l’abolition de la dîme et à la limitation des biens de l’Église s’ajoutent les plaintes des curés qui, exclus des richesses accordées aux échelons supérieurs de la hiérarchie ecclésiastique, ont souvent du mal à s’en sortir. Lorsque les foules commencent à se rassembler à Paris le 13 juillet 1789, la maison religieuse de Saint-Lazare et son couvent voisin sont parmi les premiers endroits où l’on cherche des provisions et des armes. L’Église catholique était peut-être l’église de la majorité des Français, mais sa richesse et les abus perçus signifiaient qu’elle n’avait pas toujours leur confiance.

La nationalisation des biens

À la veille de la Révolution, l’État français était au bord de la faillite. Les tentatives répétées de réforme financière avaient échoué, mais la Révolution ouvre la voie à une nouvelle approche qui, dès le début, implique l’Église. Le 4 août 1789, alors que les vestiges du passé féodal de la France sont abolis au cours d’une nuit de réformes radicales, le clergé accepte de renoncer à la dîme et de laisser l’État prendre en charge son financement. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adoptée le 26 août, ne reconnaît pas la position particulière de l’Église catholique. L’autorité se situant désormais au sein de la nation, l’Église se trouve désormais ouverte – et vulnérable – à de nouvelles réformes. Le 2 novembre 1789, la nouvelle Assemblée nationale française, connue sous le nom d’Assemblée constituante, adopte un décret qui met tous les biens de l’Église « à la disposition de la nation ». Talleyrand, l’évêque d’Autun et l’un des rares clercs à soutenir la mesure, a fait valoir que tous les biens de l’Église appartenaient légitimement à la nation et que leur restitution, en contribuant à l’avènement d’une société meilleure, devait donc être considérée comme un  » acte religieux « .

Malgré le soutien du clergé à la Révolution elle-même, ce décret est devenu le premier d’une série qui a ciblé l’Église d’une manière qui a rapidement jeté le doute sur les motifs de la Révolution. Le 29 octobre 1789, quelques jours avant la nationalisation des biens de l’Église, l’Assemblée apprend que deux femmes d’un couvent voisin sont contraintes à la vie religieuse. Il est immédiatement proposé d’interdire la prononciation des vœux solennels. Non seulement cette évolution associe l’Église aux intrigues et à la corruption décrites dans la littérature anticléricale du XVIIIe siècle, mais elle prépare la fermeture des monastères de France et le départ de leurs habitants, décrétés le 13 février 1790. On espérait que la vente rapide des monastères et de leur contenu aiderait à stabiliser les finances de la nation. L’annonce est accueillie par des milliers de lettres de protestation. Le nouvel État français avait non seulement pris le contrôle des revenus et des biens de l’Église, mais, par cette intervention radicale, semblait redessiner les frontières entre l’Église et l’État.

Soupçon croissant

Chargée de l’administration financière de l’Église, l’Assemblée saisit maintenant l’occasion de la réorganiser. Le 12 juillet 1790, l’Assemblée approuve la Constitution civile du clergé, une constitution dont le nom même reflète le nouveau contrôle de l’État sur les affaires de l’Église. Parmi les réformes de la constitution, les diocèses sont redessinés en fonction des divisions administratives de l’État, le clergé doit être rémunéré par l’État selon une nouvelle échelle de salaires, et les prêtres et les évêques doivent être élus par les citoyens. Le refus du pape d’approuver la Constitution, ainsi que les critiques croissantes des membres conservateurs de l’Assemblée, ont commencé à faire douter du soutien de l’Église. Pour tenter de résoudre la question, l’Assemblée décrète le 27 novembre 1790 que tout le clergé doit prêter un serment public de loyauté à la Constitution ou renoncer à son salaire et à son poste.

Comme l’a suggéré Nigel Aston, ce serment est devenu  » un référendum pour savoir si les premières loyautés de chacun étaient envers le catholicisme ou la Révolution « . Les chiffres variaient considérablement selon les régions, mais plus de 50 % du clergé paroissial jurait sa loyauté à la Constitution. Pour les autres, le serment représente un grave cas de conscience qui ne s’apaise que le 13 avril 1791 lorsque le pape, qui avait hésité, émet sa condamnation. Ceux qui prêtent le serment sont appelés « jurés », tandis que ceux qui le refusent sont qualifiés de « non-jureurs » ou de « prêtres réfractaires ». Un nombre croissant d’entre eux s’enfuit à l’étranger, rejoignant les nobles et le clergé qui avaient déjà émigré plutôt que de vivre sous le régime révolutionnaire. La population française se divise progressivement entre ceux qui soutiennent l' »Église constitutionnelle » et ceux qui restent fidèles aux prêtres réfractaires, initialement autorisés à continuer à pratiquer. Plutôt que de confirmer l’allégeance du clergé français à une église gérée par l’État, le serment avait mis devant eux une décision qui, en les obligeant à choisir entre l’Église constitutionnelle et Rome, allait provoquer un schisme parmi les catholiques français pour la décennie suivante et générer une hostilité envers la Révolution et ses objectifs.

Pendant ce temps, le soutien à l’Église réfractaire était de plus en plus associé à la contre-révolution. Les prêtres et évêques émigrés prêchaient contre la Révolution depuis l’étranger, tandis que les réfractaires qui restaient devenaient un point de convergence pour un ressentiment plus large envers la Révolution. La suspicion avec laquelle de nombreuses personnes considèrent les prêtres constitutionnels, en particulier dans certaines régions de la France régionale, contribue à créer un soutien populaire à la cause contre-révolutionnaire. Cette association a eu des implications immédiates. Dans la première semaine d’avril 1791, les sœurs d’une congrégation religieuse parisienne sont attaquées par des foules de femmes qui les accusent d’enseigner de « faux principes » aux enfants et de comploter la contre-révolution avec des prêtres réfractaires. Ces sentiments trouvent une expression officielle dans les débats de l' »Assemblée législative », formée en octobre 1791 et déterminée à mener à bien les politiques du début de la Révolution. En novembre, elle arrête les pensions des prêtres réfractaires et leur interdit l’usage des édifices religieux. Le 6 avril 1792, elle interdit toute forme de costume religieux, cherchant à abolir ce rappel visible de l’ancien régime et à forcer la population à considérer les prêtres comme des  » citoyens comme les autres « .

La déclaration de guerre de la France à l’Autriche le 20 avril 1792 et ses premières pertes jettent une suspicion supplémentaire sur le clergé réfractaire et ses fidèles, désormais soupçonnés de comploter avec l’ennemi. La chute de la monarchie le 10 août donne une impulsion supplémentaire à la destruction de tout ce qui est lié à l’ancien régime. L’Assemblée supprime tous les ordres religieux restants, y compris ceux qui gèrent les écoles et les hôpitaux, et ordonne aux non-juristes restants de partir ou d’être arrêtés et déportés. L’inquiétude atteint son paroxysme le 2 septembre lorsqu’on apprend que la ville-forteresse de Verdun, près de Paris, est tombée aux mains des forces prussiennes alliées. Les Parisiens, imaginant que les contre-révolutionnaires emprisonnés se préparaient à s’évader et à rejoindre l’ennemi, ont rendu leur propre justice préventive en descendant dans les prisons de la ville et, pendant plusieurs jours, en massacrant plus de 1 200 prisonniers, dont au moins 200 prêtres. Les massacres de septembre ont rendu évidente la méfiance qui empêcherait tout accommodement entre l’Église et la nouvelle République proclamée le 22 septembre 1792.

Le nouveau gouvernement républicain, connu sous le nom de Convention, répond à l’agitation civile croissante et à la menace permanente de l’étranger par le règne de la Terreur. Le Tribunal révolutionnaire, créé le 10 mars 1793, vise à démontrer que les personnes dangereuses pour la République sont identifiées et punies. Les lois de septembre 1793 et de juin 1794 visant les  » ennemis de la liberté  » et les  » ennemis du peuple  » voient un nombre croissant de prêtres et de religieuses arrêtés et jugés. Ils sont accusés non seulement de contre-révolution, mais aussi de « fanatisme » et de possession d’objets utilisés pour la célébration de la messe, ce qui démontre une fois de plus la suspicion qui entoure désormais le culte religieux. Seul un petit pourcentage d’entre eux furent guillotinés, mais leurs procès – conçus pour servir d’exemple – ont au contraire recueilli un soutien supplémentaire pour les forces contre-révolutionnaires en Vendée et dans d’autres régions de l’ouest de la France et poussé la pratique religieuse dans la clandestinité.

Religion révolutionnaire

Bien que l’Église constitutionnelle ait été autorisée à poursuivre son travail, la Convention considérait désormais le catholicisme sous toutes ses formes comme suspect. Son association avec la France de l’ancien régime, son adhésion à des valeurs qui ne sont pas le fait de la Révolution et le caractère privé du culte semblaient incompatibles avec les valeurs de la République. C’est ainsi que naît un mouvement dit de « déchristianisation », qui vise à extirper la religion de la société française. On conseille aux prêtres constitutionnels d’abandonner la prêtrise et on les encourage – ou dans certains cas on les force – à se marier. Tout prêtre qui continue à exercer, qu’il soit constitutionnel ou réfractaire, risque désormais d’être arrêté et déporté. En octobre 1793, le culte public est interdit et, au cours des mois suivants, tous les signes visibles du christianisme sont supprimés, une politique poursuivie avec un enthousiasme particulier par les armées révolutionnaires désireuses de se venger de l’institution qui a abrité tant de contre-révolutionnaires. Les cloches des églises sont démontées et fondues, soi-disant pour contribuer à l’effort de guerre, les croix sont enlevées des églises et des cimetières, et les statues, reliques et œuvres d’art sont saisies et parfois détruites. Cet iconoclasme suscite une grande inquiétude au niveau officiel, notamment en raison de la destruction du patrimoine artistique et culturel français. Le 23 novembre 1793, les églises sont fermées pour être transformées en entrepôts, manufactures ou même en écuries. Les rues et autres lieux publics portant des noms de saints reçoivent de nouveaux noms, souvent à l’effigie de la République, et le temps lui-même est refondu pour mieux renier le passé chrétien de la France. Le calendrier révolutionnaire débute avec l’avènement de la République française (an 1). Les noms de ses mois reflètent les saisons et sa semaine de dix jours élimine le dimanche comme jour de repos et de culte. Bien que ces mesures aient été inégalement appliquées et qu’elles aient rencontré dans de nombreux cas une opposition locale considérable, elles ont renforcé le message selon lequel le christianisme n’avait pas sa place dans la République.

Le gouvernement révolutionnaire avait cependant appris que lorsqu’on détruit le passé, il est sage d’avoir quelque chose à mettre à sa place. La création de la République en 1792 avait donné lieu à des cérémonies et à des fêtes qui visaient à faire de la Révolution elle-même une religion, en commémorant les martyrs révolutionnaires comme ses saints et en vénérant la cocarde tricolore et le bonnet de la liberté rouge comme ses symboles sacrés. Parmi ces « cultes » révolutionnaires, comme on les appelait, figurait en bonne place le culte de la raison, qui ne reconnaissait aucun dieu mais adorait la déesse de la raison dans les anciennes églises, désormais appelées « temples de la raison ». Robespierre, qui se méfie de l’athéisme et des forces politiques qui se cachent derrière certains cultes, introduit le 7 mai 1794 le culte de l’Être suprême, qu’il envisage comme une nouvelle religion d’État. La reconnaissance d’une divinité suprême devait attirer et canaliser le désir persistant de croyance et de culte des Français et des Françaises, tandis que la proclamation de l’immortalité de l’âme devait encourager des comportements moraux propres à assurer une République stable et vertueuse. Mais la fête de l’Être suprême, organisée le 8 juin 1794 dans toute la France et présidée à Paris par Robespierre, n’offre guère que du spectacle et, comme les autres cultes, elle ne suscite qu’un intérêt minime en dehors des centres urbains. Le catholicisme avait été évincé de la République, mais les alternatives imposées d’en haut n’ont pas réussi à s’imposer. La chute de Robespierre en juillet 1794 entraîne un dégel de la pratique religieuse. La déchristianisation avait contraint l’observance religieuse à se cantonner à l’intimité du foyer. Avec l’émigration et l’abdication d’un grand nombre de prêtres, et la perturbation des formes régulières de culte, les laïcs avaient pris l’habitude de prendre en charge les services, voire de célébrer des « messes blanches » lorsqu’aucun prêtre n’était disponible. La Convention, soucieuse de parvenir à une certaine forme de stabilité, a reconnu que, d’une manière ou d’une autre, elle devait tenir compte de ce culte privé. Elle le fait en annonçant, le 21 février 1795, la séparation formelle de l’Église et de l’État. Les églises furent rouvertes, les prêtres réfractaires furent libérés de prison et les prêtres constitutionnels et réfractaires furent autorisés à exercer à condition qu’ils promettent de respecter les lois de la République.

Pour autant, la séparation complète s’avéra impossible. La religion était toujours considérée comme une menace et les décrets ultérieurs cherchèrent à surveiller le culte et à interdire les signes extérieurs de la religion, tels que les statues ou les vêtements religieux, aux yeux du public. Les soulèvements royalistes entraînent la réapplication des lois précédentes concernant les prêtres réfractaires, tout comme le coup d’État du 18 Fructidor (4 septembre 1797), qui voit des milliers de prêtres réfractaires arrêtés une nouvelle fois. Comme les gouvernements précédents, le Directoire (novembre 1795-99) tente d’introduire des alternatives au catholicisme, notamment dans le nouveau culte de la théophilanthropie. Une fois encore, ces solutions ne parviennent pas à obtenir le soutien populaire. Au contraire, le Directoire est le témoin d’un renouveau religieux dans lequel les hommes catholiques – et surtout les femmes – jouent un rôle important dans le rétablissement de leur foi autour des décombres laissés par la Révolution. Tout nouveau régime devrait reconnaître ce renouveau et, s’il voulait s’assurer la loyauté des catholiques de France, faire une place à une Église qui pourrait combler les divisions, la confusion, la douleur et l’amertume de la décennie précédente.

Le retour de l’Église catholique

Napoléon arrive au pouvoir en 1799 prêt à s’accommoder de la présence continue de la croyance et de la pratique religieuse dans la société française, notamment pour atténuer l’opposition contre-révolutionnaire. Les écrits de sa jeunesse montrent que Napoléon n’avait guère de temps pour la religion mais, à l’instar des philosophes, il en voyait l’utilité pour la société. Il appréciait également les économies qu’elle permettait de réaliser, comme en témoigne le rétablissement, sous l’égide de l’État, de congrégations religieuses chargées de gérer les hôpitaux et les écoles. Par-dessus tout, Napoléon reconnaît que si les relations avec l’Église sont rétablies, celle-ci peut être utilisée pour promouvoir et consolider son pouvoir dans toute la France. Ignorant les objections des opposants révolutionnaires à l’Église, Napoléon entreprend de formaliser sa place en France d’une manière destinée à garantir que l’appartenance loyale à l’Église et à l’État ne s’exclut plus mutuellement.

Le 16 juillet 1801 à 2 heures du matin, la France signe avec Rome un document connu sous le nom de Concordat, fruit de huit mois de négociations éreintantes. Le catholicisme ne devait désormais être reconnu que comme « la religion de la grande majorité des citoyens français », une description qui refusait à l’Église toute place privilégiée au sein de l’État, et l’Église devait renoncer à toute revendication sur les biens perdus pendant la Révolution. La mesure la plus spectaculaire du Concordat, cependant, était de placer l’Église sous l’autorité de l’État. Dans le cadre de mesures qui rappellent la Constitution civile de 1790, tous les membres du clergé doivent prêter un serment de loyauté au gouvernement, leurs salaires doivent être payés par l’État, et les diocèses sont à nouveau redessinés et alignés sur les divisions administratives. En outre, tous les évêques devaient être nommés par Napoléon, ce qui minimisait encore l’autorité de Rome. Cette tendance se confirme en 1802 avec l’ajout au Concordat des « Articles organiques », 27 articles élaborés et annoncés sans consultation de Rome. L’article premier, qui exigeait que toutes les instructions de Rome soient approuvées par le gouvernement, laissait entendre que dans cette nouvelle relation, l’autorité papale ne signifiait pas grand-chose. L’Église de Napoléon, comme l’Église gallicane de l’ancien régime, avait sa propre identité nationale.

De façon assez prévisible, les relations avec Rome se sont rapidement détériorées, culminant dans ce que Geoffrey Ellis a décrit comme « l’un des conflits les plus extraordinaires entre le pouvoir temporel et l’autorité spirituelle que l’histoire ait jamais connu ». Napoléon cherche de plus en plus à associer son pouvoir personnel à l’Église, insistant sur la présence du pape lors de la cérémonie de son couronnement à Paris en 1804, instaurant un jour de fête pour le « saint Napoléon » redécouvert et utilisant le catéchisme impérial, récité par les enfants à l’école du dimanche, pour suggérer que son règne est autorisé par Dieu lui-même. Pourtant, même en agissant ainsi, le mépris de Napoléon pour Rome devient de plus en plus évident. Non seulement il exporte une politique révolutionnaire en matière de religion en fermant des monastères et en saisissant les biens de l’Église, mais il introduit le Concordat dans les territoires conquis, soumettant l’Église catholique d’autres pays à son autorité. L’occupation de Rome par Napoléon en 1808 porte la relation à un point de rupture et conduit à la décision du pape de l’excommunier. En représailles, Napoléon fait arrêter le pape, puis l’emmène en France comme prisonnier, où il reste jusqu’en 1814. Un nouveau concordat, signé à Fontainebleau en 1813, tente de  » mettre fin aux différends  » entre les deux, mais il échoue également. En soumettant l’Église française, ainsi que son chef spirituel, à l’autorité de l’État, Napoléon avait créé des tensions qui servirent, au cours de son règne, à diviser davantage ses membres et à accroître leur loyauté envers Rome.

Conclusion

La destruction en bloc du catholicisme avait été loin de l’esprit des représentants de la nation en 1789, mais les préoccupations financières, combinées aux menaces externes et internes, ont fini par faire d’une attaque en règle contre l’Église et tout ce qui s’y rattache une nécessité pour une Révolution qui exigeait une loyauté absolue. Nicholas Atkin et Frank Tallett considèrent la Révolution française comme « un tournant décisif pour le catholicisme, non seulement en France mais plus généralement en Europe ». La Révolution française a vu l’Église gallicane passer d’une institution autonome exerçant une influence significative à une institution réformée, abolie et ressuscitée par l’État. Dans cette extension du contrôle de l’État, ainsi que dans la destruction ciblée de l’Église et de la pratique religieuse, la Révolution représente un développement clé dans la sécularisation qui s’étendra à toute l’Europe. Mais tant les gouvernements révolutionnaires que Napoléon n’étaient pas préparés au ressentiment qui a accompagné l’incursion de l’État dans les questions spirituelles et le retour à Rome qui s’en est suivi. La suppression des institutions catholiques et de leur personnel n’a fait que repousser le culte dans la sphère privée et accroître la participation des laïcs, tendances qui marqueront également le renouveau religieux qui a eu lieu en France au XIXe siècle. Les conséquences de cette expérience drastique de transformation des relations entre l’Église et l’État se répercuteront en France jusqu’à la séparation de l’Église et de l’État en 1905 et se font encore sentir aujourd’hui, alors que les États continuent de négocier la relation sensible entre l’Église, l’État et la croyance religieuse.

Questions à débattre

  • Dans quelle mesure la nationalisation des biens de l’Église a-t-elle reflété une hostilité envers l’Église ?
  • De quelles manières l’exigence du serment à la Constitution civile du clergé a-t-elle affecté les prêtres et les évêques de France ?
  • Qu’espéraient les gouvernements révolutionnaires en introduisant des cultes alternatifs ?
  • Dans quelle mesure le renouveau contrôlé de l’Église catholique par Napoléon a-t-il reflété l’échec de la Révolution à éradiquer les croyances et les pratiques religieuses ?

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