Un vieil homme a partagé son plus profond regret. « J’aurais aimé, disait-il, avoir compris le déroulement du temps. »
La patience (ou forbearance) vient du latin patientia, « patience, endurance, soumission », et, en définitive – comme « passivité » et « passion » – de patere, « souffrir ». Elle peut être définie comme la qualité d’endurance ou d’équanimité face à l’adversité, du simple retard ou de la provocation au malheur tragique et à la douleur terrible.
Etant à la fois utile et difficile, la patience est souvent considérée comme une vertu, mais elle peut aussi être comprise comme un complexe de vertus comprenant la maîtrise de soi, l’humilité, la tolérance, la générosité et la miséricorde, et elle est elle-même un aspect important d’autres vertus telles que l’espoir, la foi et l’amour. La patience est donc un paradigme pour la notion ancienne de l’unité des vertus.
Dans le bouddhisme, la patience est nommée comme l’une des six perfections (paramitas) et s’étend au non-retour du mal. Le livre des Proverbes, dans la tradition judéo-chrétienne, parle en termes très élogieux de la patience : » Celui qui est lent à la colère vaut mieux que le puissant, et celui qui domine son esprit que celui qui prend une ville. Ce principe est repris dans l’Ecclésiaste, qui enseigne que « la patience d’esprit vaut mieux que l’orgueil d’esprit. Ne te hâte pas dans ton esprit de te mettre en colère, car la colère repose dans le sein des insensés.’
Le contraire de la patience est, bien sûr, l’impatience, qui peut être définie comme l’incapacité ou le manque de volonté d’endurer une imperfection perçue. L’impatience est un rejet du moment présent au motif qu’il est entaché et qu’il devrait être remplacé par un futur imaginé plus idéal. C’est un rejet de la façon dont les choses sont, un rejet de la réalité.
Alors que la patience reconnaît que la vie est un combat pour chacun d’entre nous, l’impatience s’offense des gens parce qu’ils sont comme ils sont, trahissant une sorte d’indifférence, voire de mépris, pour la nature humaine dans sa finitude.
L’impatience implique l’impuissance, ou le manque de contrôle ou de maîtrise d’une situation, et cette impuissance donne lieu à la frustration. L’impatience et la frustration sont aussi malavisées que misérables, et aussi stériles qu’autodestructrices. Elles peuvent conduire à des actions irréfléchies et destructrices, mais aussi, paradoxalement, à l’inaction, ou à la procrastination, puisque repousser une tâche difficile ou ennuyeuse, c’est aussi repousser la frustration à laquelle elle ne peut que conduire.
Aujourd’hui plus que jamais, la patience est une vertu oubliée. Notre société individualiste et matérialiste valorise l’ambition et l’action (ou, du moins, l’activité) par-dessus tout, alors que la patience implique un repli et une rétention de soi. Et les choses ne font qu’empirer. Dans une étude portant sur des millions d’internautes, des chercheurs ont constaté qu’en l’espace de dix secondes seulement, environ la moitié des utilisateurs avaient renoncé à regarder des vidéos dont la lecture n’avait pas encore commencé. Qui plus est, les utilisateurs disposant d’une connexion plus rapide étaient les plus prompts à cliquer, ce qui suggère que le progrès technologique érode en fait notre patience.
L’attente, même très courte, est devenue si insupportable qu’une grande partie de notre économie vise à éliminer les « temps morts ». Dans un livre intitulé L’art de l’échec : The Anti Self-Help Guide, j’ai soutenu qu’une telle impatience agitée est une expression de la défense maniaque, dont l’essence est d’empêcher les sentiments d’impuissance et de désespoir d’entrer dans l’esprit conscient en le distrayant avec des sentiments opposés d’euphorie, d’activité volontaire et de contrôle omnipotent.
Même dans les temps pré-modernes et pré-technologiques, le » predicament égocentrique » rendait difficile l’exercice de la patience. Parce que j’ai un accès privilégié à mes propres pensées, je les gonfle hors de toute proportion et, par conséquent, je perds toute perspective sur une situation. Par exemple, si je suis impatient dans la file d’attente de la caisse, c’est en grande partie parce que j’ai l’impression que mon temps est plus précieux, et mon objectif plus valable, que celui des tasses qui se trouvent devant moi et dont je ne sais rien du tout. Convaincu que je pourrais faire un meilleur travail à la caisse, je jette un regard de poignard au caissier ou à la caissière, sans reconnaître qu’il ou elle aborde la question sous un angle différent et avec des compétences et des capacités différentes. Au final, ma frustration en elle-même devient une source de frustration, car j’hésite entre attendre dans la file d’attente, changer de file, voire abandonner mes achats.
La patience peut être considérée comme un problème de prise de décision : manger toutes les céréales aujourd’hui, ou les planter dans le sol et attendre qu’elles se multiplient. Malheureusement, les êtres humains n’ont pas évolué en tant qu’agriculteurs mais en tant que chasseurs-cueilleurs, et ont une forte tendance à écarter les récompenses à long terme. Notre myopie ancestrale est confirmée par l’expérience de la guimauve de Stanford, une série d’études sur la gratification différée menée par Walter Mischel à la fin des années 1960 et dans les années 1970. Menées sur des centaines d’enfants de quatre et cinq ans, les études de Mischel comportaient un choix binaire simple : manger cette guimauve ou attendre quinze minutes pour recevoir une deuxième guimauve. Après avoir expliqué ce choix à l’enfant, l’expérimentateur le laissait seul avec la guimauve pendant quinze minutes. Des études de suivi menées sur quarante ans ont révélé que la minorité d’enfants qui avaient pu retenir la deuxième guimauve a ensuite bénéficié de résultats de vie nettement meilleurs, notamment de meilleurs résultats aux tests, de meilleures compétences sociales et moins de toxicomanie.
Pour autant, la patience implique bien plus que la simple capacité de retenir en vue d’un gain futur, comme l’ont fait certains enfants. Exercer sa patience (notez l’utilisation du verbe « exercer ») peut être comparé à un régime ou à la culture d’un jardin. Oui, il faut attendre, mais il faut aussi avoir un plan et travailler sur ce plan. Ainsi, lorsqu’il s’agit des autres, la patience ne consiste pas en une simple retenue ou tolérance, mais en un engagement actif et complice dans leur lutte et leur bien-être. En cela, la patience est une forme de compassion qui, plutôt que de mépriser et d’aliéner les gens, les transforme en amis et en alliés.
Si l’impatience implique l’impuissance, la patience implique le pouvoir, un pouvoir porté par la compréhension. Plutôt que de nous transformer en otage de la fortune, la patience nous libère de la frustration et de ses maux, et nous offre le calme et la perspective nécessaires pour penser, dire et faire la bonne chose de la bonne manière au bon moment – tout en étant capable de profiter de toutes les autres choses qui sont bonnes dans notre vie. Face à une longue file d’attente à la caisse, abandonner mes achats pourrait être la bonne chose ou la chose rationnelle à faire, mais, même dans ce cas, je peux le faire sans perdre mon sang-froid et rendre une mauvaise situation bien pire.
Exercer la patience ne signifie pas ne jamais protester ou abandonner, mais seulement le faire toujours de manière réfléchie : jamais impétueusement, jamais mesquinement et jamais inutilement. Cela ne signifie pas non plus qu’il faille se retenir, tout comme faire vieillir une caisse de bon vin pendant plusieurs années ne signifie pas qu’il faille se priver de vin pendant tout ce temps. La vie est trop courte pour attendre, mais elle n’est pas trop courte pour la patience.
Enfin, la patience nous permet de réaliser des choses qu’il aurait été impossible de réaliser autrement. Comme le disait La Bruyère : » Il n’y a pas de route trop longue pour celui qui avance délibérément et sans hâte indue ; il n’y a pas d’honneurs trop lointains pour celui qui s’y prépare avec patience. ‘Le génie’ a dit Michel-Ange, ‘c’est la patience éternelle’.
La patience est beaucoup plus facile, voire agréable, à exercer si l’on comprend vraiment qu’elle peut donner et donne effectivement de bien meilleurs résultats, non seulement pour nous-mêmes mais aussi pour les autres. En 2012, des chercheurs de l’université de Rochester ont reproduit l’expérience du marshmallow. Mais avant cela, ils ont divisé les enfants participants en deux groupes, exposant le premier groupe à des expériences peu fiables sous forme de promesses non tenues, et le second groupe à des expériences fiables sous forme de promesses tenues. Ce qu’ils ont constaté, c’est que les enfants du second groupe (exposés à des expériences fiables) ont attendu en moyenne quatre fois plus longtemps que les enfants du premier groupe.
En d’autres termes, la patience est en grande partie une question de confiance, ou, diront certains, de foi – y compris dans nos systèmes politiques, juridiques et financiers.
Neel Burton est l’auteur de Heaven and Hell : La psychologie des émotions et d’autres ouvrages.