Le lieu est l’Angleterre. L’année est 1928. L’un des théoriciens fondateurs de la mécanique quantique, Paul Dirac, se gratte la tête car les solutions à ses équations ont donné des résultats inattendus. Pour que les solutions aient un sens, explique-t-il, il doit exister une particule qui a la masse d’un électron mais la charge opposée. À l’époque, on ignorait l’existence d’une telle chose.
Plusieurs années s’écoulent avant que le physicien américain Carl Anderson n’observe un électron « positif », ou positron qui confirme la prédiction de Dirac.
Près de 80 ans plus tard, les positrons et autres antiparticules sont toujours étudiés pour tenter de répondre à des questions fondamentales sur l’univers et la matière qu’il contient. L’antimatière, comme son nom l’indique, peut être décrite comme l’opposé de la matière ordinaire. Chaque particule de l’univers possède des caractéristiques telles que la masse et la charge. Dans le cas de l’antimatière, la masse reste constante, mais le signe de la charge est inversé. Toutes les particules ont une contrepartie d’antimatière, même le neutron sans charge (ses quarks constitutifs ont bien une charge ; l’antineutron est composé d’antiquarks).
Contrairement à la matière, l’antimatière n’est pas commune. A moins d’être dans la haute atmosphère, ou à l’intérieur d’un accélérateur de particules, vous ne risquez pas de tomber dessus. « L’antimatière n’a pas toujours été aussi rare, explique Stéphane Coutu, physicien des particules de Penn State. Il fut un temps où elle était aussi répandue que la matière elle-même. « Juste après le Big Bang », explique Stéphane Coutu, « nous pensons qu’il devait y avoir exactement les mêmes quantités de matière et d’antimatière… et pourtant, en raison d’une petite asymétrie dans les lois d’interaction des particules, toute l’antimatière et la plupart de la matière de l’univers primitif ont été annihilées. Nous nous retrouvons aujourd’hui avec l’univers dominé par la matière qui en résulte. » L’étude des interactions matière-antimatière est donc un aperçu des premiers instants d’un univers naissant.
Pour mener ses recherches sur l’antimatière, Coutu envoie des détecteurs sophistiqués à la limite de l’atmosphère sur des ballons de haute altitude. Il recherche l’antimatière dans le rayonnement cosmique qui pleut sur la terre. Ce saupoudrage d’antimatière peut être une signature pour toutes sortes d’interactions entre particules qui se produisent au sein de notre galaxie.
Certains physiciens, au lieu d’observer l’antimatière produite par la nature, l’étudient en fabriquant la leur dans un accélérateur de particules. Lorsque des particules ordinaires sont accélérées à des vitesses très rapides, puis entrent en collision les unes avec les autres, explique Coutu, des antiparticules peuvent naître des explosions à haute énergie qui s’ensuivent. Ces antiparticules sont toutefois de courte durée et rencontrent invariablement leur correspondant de matière ordinaire dans un processus destructeur appelé annihilation.
L’annihilation ne signifie pas que les particules disparaissent complètement, mais simplement que leur énergie est transférée vers une forme différente, ajoute-t-il.
La science-fiction regorge de récits d’annihilation de particules à haute énergie et, en effet, des armes à antimatière sont apparues dans des romans à succès actuels. Mais cela n’est pas réaliste, selon M. Coutu. » serait très peu pratique en raison des très grandes difficultés à produire et à maintenir des quantités importantes d’antimatière. »
La technologie qui utilise les propriétés de l’antimatière est en fait réalisable en dehors de la science-fiction, cependant. La tomographie par émission de positrons (TEP) est une technique médicale qui peut être utilisée pour détecter le cancer, mesurer le flux sanguin et détecter les maladies coronariennes. Dans le cadre de la TEP, « une petite quantité de substance radioactive est injectée à une personne, qui produit des positrons en se désintégrant dans le corps », explique M. Coutu. « En détectant les photons à haute énergie (rayons gamma) produits par l’annihilation des positons avec les électrons dans le corps, on peut dresser une carte de l’endroit où la substance s’est répandue dans le corps. » Si l’antimatière ne sera peut-être jamais utilisée comme une bombe, elle a certainement un avenir positif dans les outils de diagnostic médical qui sauvent des vies, l’anti-arme.